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AL AMINE le multidimensionnel

par Serigne Cheikh Ahmed Tidiane Sy Al Amine

Al Amine est un guide religieux qui a marqué son temps en jouant un rôle important et diversifié dans tous les aspects qui intéressent la République. Régulateur social, diplomate, guide spirituel et tout simplement, citoyen, Al Amine est un homme multidimensionnel qui aura marqué son temps et les hommes qui l’ont côtoyé. Il pouvait plaire ou ne pas plaire, mais il ne laissait personne indifférent.

Al Amine le régulateur

Il était un régulateur hors pair dans un Sénégal où les religieux ont toujours joué un rôle de régulation dans la gestion des tensions sociales et politiques. En effet, même si on vote dans notre pays depuis 1848, les violences politiques sont souvent inhérentes à l’imperfection de notre démocratie et souvent intimement liées au processus électoral. Ainsi, les élections sont souvent source de violence, car moment privilégié où le peuple opère ses choix et renouvelle sa confiance à la classe politique en exprimant ses frustrations et ses peurs. Au moment où notre pays est en train de s’acheminer vers des lendemains incertains avec les élections présidentielles qui se profilent en 2024, les esprits se tournent vers les régulateurs faiseurs de paix que nous avons connu dans notre histoire récente, à l’instar d’Al Amine.

Al Amine n’hésitait pas à monter au front ou dans le secret de son salon pour jouer les missions de bons offices dont lui seul en avait le secret.

Ces interventions dans la sphère politique pouvaient plaire ou non, mais étaient toujours mues par l’intérêt du plus grand nombre et pour la préservation de la paix sociale à laquelle il tenait comme à la prunelle de ses yeux. Il ne cessait de dire que son action n’était pour séduire une opinion ou un public mais plutôt pour préserver le ciment social qui lie les sénégalais. Il faisait fi de la perception que l’opinion pouvait avoir de ses discours arguant qu’il ne parlait pas pour plaire mais plutôt pour parfaire. Il répétait souvent dans ses discours qu’« un guide religieux a pour rôle de préserver la paix et non d’allumer le feu ». On se rappelle des grands moments où les forces de l’ordre du régime d’Abdoulaye Wade, un mouride affiché, ont eu le malheur, lors des troubles préélectoraux de 2012, de jeter malencontreusement une grenade lacrymogène dans la zawiya El Hadj Malick Sy de Dakar. Il a fallu la fermeté et le tact d’Al Amine pour contrer la vague tidiane qui criait au sacrilège devant la Mosquée. Quelques jours après, le Ministre de l’Intérieur de l’époque fut quasiment séquestré à Tivaouane par une population en furie. Al Amine est encore montré au créneau pour affronter la foule surexcitée et préserver le calme. Qu’adviendrait-il si un Ministre de la République s’était fait lyncher dans la ville de Maodo, ce patriarche qui s’est battu contre la force coloniale sans jamais verser dans la violence.

Le rappel de ces événements nous montre, qu’avec le recul, Al Amine avait raison de s’opposer à la foule impersonnelle et parfois irréfléchie, face à l’affront d’un Etat incarné jadis à sa plus haute station par un chef qui ne donnait parfois pas l’impression d’être impartial dans l’équilibre des confréries.

Le 26 septembre 2002, le bateau « le Joola » sombrait au large de la Gambie engloutissant près de 3000 sénégalais. Le pays se réveille sous le choc et l’Etat est reconnu comme principal responsable de cette tragédie. Face à l’émotion que suscite un tel sinistre, la voie d’Al Amine a retenti lors des obsèques pour délivrer un discours mémorable et apaisant afin de calmer les ardeurs, surtout dans le contexte d’un conflit casamançais qui n’avait que trop duré avec des relents de négligence de l’Etat, face à une communauté Joola qui s’est toujours sentie laissée en rade. Serigne Abdou avait l’art de choisir les bons mots pour apaiser les cœurs tout en rappelant le sens de la responsabilité des acteurs en présence.

On pourrait continuer à citer les actes posés par Al Amine pour pacifier l’espace public, tant il aura laissé une empreinte indélébile dans la préservation de la paix et du vivre ensemble, si cher à notre pays et parfois au détriment de sa réputation. Qu’est ce qu’il n’a pas entendu ?      

Aujourd’hui, le Sénégal est à un tournant historique où l’inquiétude est grandissante face à la surenchère des acteurs politiques. L’avenir du pays est menacé par la fracture sociale qui s’est opérée entre une jeunesse en quête de nouveaux repères et se sentant de plus en plus abandonnée par les adultes qui ne reconnaissent plus les jeunes. Le gap intergénérationnel s’élargit en termes de pertes de valeurs. Les réseaux sociaux n’arrangent pas les choses en accélérant les mutations sociales qui ont fini de dénaturer les relations entre jeunes et moins jeunes.

L’on se pose la question : qu’aurait fait Al Amine face à cette situation ? On peut se demander légitimement, quelle aurait été son attitude dans un jeu politique où les acteurs se regardent en chiens de faïence tels des gladiateurs dans l’agora. Au-delà des discours d’apaisement, il est temps que les religieux prennent en charge le processus de maintien de la paix sociale pour assumer leur responsabilité historique avec courage et détermination afin de préserver la paix sociale. Tel Al Amine, le religieux doit adopter une démarche désintéressée orientée uniquement vers l’intérêt général.

Al Amine le diplomate

Si l’enseignement arabe occupe une place appréciable dans le système éducatif sénégalais, Al Amine y aurait joué un rôle primordial en créant la Fédération des Associations Islamiques du Sénégal (FAIS). Avec cette institution, Al Amine a parcouru le monde arabe en consolidant la place du Sénégal dans le monde islamique et promouvoir l’enseignement arabe. En fin stratège face à un Etat laïc, il a permis a beaucoup de sénégalais de bénéficier de bourses d’études dans les pays arables et réussi à implanter des écoles franco-arabes dans le pays.

A travers ses pérégrinations dans le monde arabo-islamique, Al Amine a porté la voix du Sénégal défendant avec beaucoup de dynamisme le soufisme dans une Umma islamique dominée économiquement par des pays prônant un Islam pas toujours favorable aux courants spirituels soufis.

Il a tissé dans le monde arabe des relations profitables au Sénégal notamment en Irak, en Lybie et plus récemment au Maroc où il a représenté le Sénégal pendant plusieurs années au Drouss Hassani, ces conférences publiques organisées par feu le Roi Hassan II pendant les nuits du Ramadan.

Al Amine l’agriculteur

Il aimait l’agriculture et en avait fait son activité économique par excellence à tel point qu’un mois avant son rappel à Dieu, Al Amine s’occupait encore de son exploitation agricole à 90 ans révolus. Au-delà de ce qu’il tirait de ses exploitations, il voulait surtout donner l’exemple à ses disciples sur la nécessité de vivre du fruit de son travail comme le préconisait son aïeul, Maodo. Al Amine considérait le travail comme un sacerdoce et incitait son monde au licite. Il incitait les disciples au culte du travail pour subvenir à leurs besoins au lieu de vivre de trafic.

Al Amine le mécène

C’est peut-être la marque de fabrique la plus éloquente d’Al Amine et son dernier geste public sur terre a été la traditionnelle séance de distribution de moutons de Tabaski aux nécessiteux. Ce n’était véritablement que la partie visible de l’iceberg tant la générosité d’Al Amine était sans limites. De la dépense quotidienne qu’il assurait à plusieurs familles de la ville de Tivaouane, en passant par les soutiens à l’hôpital de Tivaouane ou aux nécessiteux qui avaient des problèmes de santé, Al Amine était un mécène infatigable, donnant même parfois au-delà de ses possibilités. Il se réveillait parfois sans un sou mais arrivait, par la grâce de Dieu, à résoudre les problèmes des indigents.

Qui aurait cru qu’Al Amine ne disposait pas d’un lopin de terre à Dakar, a fortiori une maison dans la capitale sénégalaise au moment où la course au foncier était le sport préféré de tous ceux qui avaient de l’influence au sein de la République. Quand je lui posai la question du pourquoi de ce désintéressement face aux biens fonciers à Dakar, il me répondit par une boutade : « Je n’habite pas Dakar ». Et plus sérieusement, il me rétorqua : « Si tu possèdes tout le foncier du monde, tu ne dormiras que dans une chambre. Si tu as plusieurs épouses qui cuisinent tous les mets du monde, tu ne mangeras que ce qui te rassasie. Les hommes doivent avoir raison gardée sur les biens matériels ». Il aurait fait de cette attitude un viatique qui guidera ses actions tout le long de sa vie.

Serigne Abdou a été un homme multidimensionnel qui a bien vécu une vie d’ascète sans en donner l’air. Il aura guidé un grand nombre de musulmans et même de non musulmans dans le droit chemin en vivant par l’exemple. Il était transparent jusque dans sa chambre à coucher qui était accessible à tous, du Ministre à l’indigent, comme pour dire à tout le monde « je n’ai rien à cacher ».

Il ne cessera de nous manquer jusqu’à la nuit des temps. Paix à son âme.    

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