A l’orée du gamou, à l’heure où #Tivaouane, Kaolack, Tieneba et j’en passe sont l’objet de toutes les attentions et attractions, les enseignements d’El Hadj Malick Sy résonnent et tracent la voie de l’équilibre pour une gouvernance à la fois sereine et ferme à l’attention de nos autorités.
En effet, dans cette période où le Sénégal est en quête de repères pour concilier unité nationale et fermeté dans la poursuite de ses objectifs de développement, la vie et l’œuvre d’El Hadj Malick Sy (1855-1922) offrent un modèle de gouvernance spirituelle et sociale d’une pertinence remarquable. Son héritage n’est pas seulement religieux. Il est éminemment politique, au sens noble du terme. C’est l’art d’organiser la cité dans la paix et la prospérité.
Sa philosophie peut se résumer en un triptyque : la conciliation par la science et la piété, la fermeté dans l’éducation et la discipline, et la fixation sur un objectif supérieur, le salut ici-bas et dans l’au-delà. En transposant ces principes à la gestion de la chose publique, nos autorités peuvent trouver une voie pour un Sénégal réconcilié et fixé sur ses objectifs. Car leur défi est de transformer le signe de l’alchimie victorieuse de mars 2024 entre la volonté populaire et la volonté supérieure, en une gouvernance vertueuse et efficace.
Pour cela, notre histoire et notre spiritualité nous offrent une boussole à travers, entre autres, l’enseignement d’El Hadj Malick Sy.
La leçon de l’histoire : La méthode Malick Sy, ou l’équilibre comme art de gouverner
La victoire inattendue du Président Bassirou Diomaye Faye est un capital de légitimité immense, mais volatile. Pour le transformer en une autorité durable et bienfaisante, la tentation de la fermeté autoritaire ou, à l’inverse, d’un laxisme conciliateur, est grande. La voie à suivre est celle de l’équilibre, magistralement incarnée par El Hadj Malick Sy. C’est aussi la voie indiquée par le Coran : « Et c’est ainsi que Nous avons fait de vous une communauté du juste milieu [de l’équilibre] afın que vous soyez témoins pour les gens, et que le Messager soit témoin pour vous. » (S2 V143).
La Fermeté dans l’éducation et la discipline : Le cadre non-négociable. Malick Sy était un rigoureux dans le sens noble du terme, un modèle de discipline et de rigueur intellectuelle. Son installation à Tivaouane n’était pas anodine. Il en a fait un centre d’excellence éducative et spirituelle, un pôle de stabilité et de production de savoir. L’école de Tivaouane était structurée, exigeante et ouverte à tous, sans distinction d’origine sociale ou ethnique. C’était, de même, un modèle de discipline et d’exigence intellectuelle.
Exemple précis : Il inculquait à ses disciples une discipline de fer dans l’apprentissage (la mémorisation, l’étude des textes) et dans la pratique religieuse (les rites, le comportement éthique). Cette fermeté dans la formation produisait des individus équilibrés, utiles à la société.
Leçon pour les autorités : La fermeté dont le pays a besoin est celle de l’État de droit et de l’investissement dans l’éducation. La fermeté doit se manifester par une application impartiale et inflexible de la loi. La justice doit être le pilier non-négociable de l’action gouvernementale. Comme le rappelait le Calife Omar ibn al-Khattab, tout manquement sera demandé compte. La lutte contre la corruption et l’impunité est un impératif. C’est la condition sine qua non pour honorer la confiance divine et populaire reçue. Un État ferme, c’est un État qui :
Applique la loi de manière égale pour tous, sans favoritisme, garantissant ainsi la justice sociale, pilier de toute réconciliation durable.
Investit avec fermeté et détermination dans l’éducation nationale, la formation professionnelle et la recherche. C’est le seul investissement qui garantisse un développement sur le long terme et indépendant. El Hadj Malick Sy a bâti un empire du savoir. L’État doit bâtir un empire des compétences.
Sa fermeté était douce mais inflexible sur les principes. Il enseignait que la soumission à Dieu et à une règle commune est la source de la vraie liberté individuelle et collective. Être ferme, c’est avoir le courage de prendre des décisions impopulaires mais nécessaires pour l’intérêt général à long terme (réformes économiques, investissements structurants), tout en sachant les expliquer avec pédagogie.
La Conciliation par le Dialogue et la Sagesse, L’Équilibre comme Méthode : El Hadj Malick Sy était un maître dans l’art de la conciliation sans capitulation. Son œuvre majeure, « Ifhâm al-munkir al-jânî » (Réfutation de l’opposant ignorant), est un modèle d’argumentation dense et savante pour contrer les dérives sectaires et promouvoir l’orthodoxie dans la voie soufie. Il n’a jamais utilisé l’invective ou la violence, mais la preuve textuelle (Coran, Sunna) et la logique pour désamorcer les conflits théologiques.
Exemple précis : Face aux critiques contre la Tijaniyya, il a choisi l’écriture, la poésie et le débat courtois mais ferme. Il a intégré sans les renier, prouvant que la fermeté sur les principes n’exclut pas le respect de l’adversaire. Son célèbre poème « Khilâçu adh-dhahab » est une synthèse poétique de la vie du Prophète (PSL). Cette œuvre vise à unifier la Oumma autour d’un récit fondateur commun. Transposé au contexte national, c’est un appel à mettre en avant le « récit national sénégalais » commun : nos valeurs de teranga, de non-violence, et nos héros communs (Senghor, Cheikh Anta, Mamadou Dia, Lat Dior, Maba Diakhou, etc.), pour transcender les clivages partisans momentanés.
Face aux conflits théologiques, Malick Sy a donc récusé les attaques personnelles et promu le dialogue savant et argumenté (comme dans son œuvre Ifhâm al-munkir al-jânî).
Leçon pour les autorités : La réponse aux dissensions politiques ou sociales ne doit pas être la répression brute ou l’ignorance, mais le dialogue argumenté et inclusif. Face aux contestations, l’État doit pouvoir expliquer ses politiques avec une argumentation solide, basée sur des données et des projets concrets, en reconnaissant la légitimité du droit à la contradiction dans le cadre républicain. Il s’agit de combattre les idées, non les personnes. Cela signifie que la réponse aux contestations légitimes ne doit pas être la répression sourde, mais l’écoute active et la réponse soutenue. La fermeté sur les principes n’exclut pas le respect de l’opposant. Un gouvernement réconciliateur est celui qui sait tendre la main après avoir affirmé l’autorité de l’État. Dès lors, adopter la voie de l’équilibre, c’est ne sacrifier ni la sécurité ni les libertés démocratiques. C’est être ferme sur la protection des personnes et des biens, tout en garantissant l’espace démocratique.
La Fixation sur l’objectif du développement humain intégral :
Toute l’action d’El Hadj Malick Sy était orientée vers un objectif ultime : préparer l’au-delà sans négliger la vie terrestre. Il a encouragé le travail (le champ, le commerce), prêché la piété et promu l’éducation. Son œuvre est un développement intégral : spirituel, économique et intellectuel.
Exemple précis : Il a pacifié les relations avec l’administration coloniale non par soumission, mais par pragmatisme stratégique. Son objectif n’était pas la confrontation politique directe, mais la préservation de l’espace nécessaire à l’épanouissement de l’Islam et à l’éducation des populations. Cette vision tactique lui a permis de construire une institution durable qui survit et prospère encore aujourd’hui.
Leçon pour les autorités : l’État doit se tenir à la vision qu’il a clairement défini et à ses objectifs de développement à long terme (horizon 2050), au-delà des querelles politiciennes. Les alternances ne devraient pas signifier un changement de cap fondamental, mais une course de relais où chaque gouvernement contribue à avancer vers la même ligne d’arrivée : un Sénégal transformé, juste et éduqué. Cet objectif supérieur doit transcender les clivages et fédérer toutes les énergies.
El Hadj Malick Sy a légué au Sénégal une méthode : la conciliation par le savoir et le dialogue, la fermeté dans la discipline et l’éducation, et une fixation inébranlable sur une vision transcendante.
Pour les autorités, cela se traduit par une feuille de route concrète :
- Faire du dialogue national inclusif et argumenté une institution permanente, au-delà des crises.
- Être ferme et intransigeant sur l’État de droit et la justice sociale qui sont les fondements de la confiance citoyenne et de la réconciliation.
- Faire de l’éducation et de la formation la priorité absolue et non-négociable du budget national, avec une vision sur 25 ans. Une génération pour changer radicalement de paradigmes, de systèmes. Le système ce n’est pas les hommes, mais ce sont les hommes qui incarnent le système.
- Communiquer avec pédagogie sur les objectifs et les sacrifices nécessaires, en s’inspirant de la poésie et de la pédagogie de Malick Sy pour toucher les cœurs et les esprits.
- Incarner un pragmatisme au service d’une vision : être ouvert au dialogue sans renier les principes républicains, et chercher constamment l’équilibre entre le développement économique et la cohésion sociale.
En adoptant cette « voie de l’équilibre », ferme sur les principes et les objectifs, conciliante sur les méthodes et les hommes, les autorités peuvent honorer l’héritage de l’un de nos plus grands guides spirituels et bâtir un Sénégal réconcilié avec lui-même et résolument fixé sur son destin éminent.
Saliou DRAME
saliou.drame@gmail.com
Auteur de Le musulman sénégalais face à l’appartenance confrérique, Paris, #lharmattan, 2011.