Pour comprendre la décision du khalife général des Tidianes Serigne Babacar SY Mansour de surseoir les cérémonies religieuses de la hadra et de fermer les lieux de cultes relevant de son autorité face à cette pandémie à corona virus, il faut d’abord faire une rétrospective brève de l’histoire.
En effet, l’histoire retiendra toujours les longues souffrances endurées des siècles durant face aux catastrophes sanitaires dont :
- La peste noire de 1347 à 1352 qui avait fait 25 à 40 millions de morts en Europe. Le mal était déjà fait. Il frappait indifféremment citadins et campagnards, pauvres et riches, de sorte que ceux qui étaient plus nantis, pour fuir la foudroyante pestilence qui régnait dans les villes allaient se réfugier, à l’exemple du poète Boccace, dans une relative sécurité d’une retraite isolée.
- La grippe espagnole de 1918 à 1919 avait fait plus de 50 millions de morts à l’échelle mondiale.
- Le choléra de 1926 à 1932 avait fait 100000 morts en moins de six mois. La suite était lamentable.
- La grippe asiatique de 1956 à 1957 avait fait 2 à 3 millions de morts dans le monde.
- Le SIDA de 1981 à nos jours, des millions de personnes succombent de leur contamination.
- Et aujourd’hui la Covid 19 qui continue de faire des ravages partout où elle passe et à tous les niveaux de la vie humaine.
Le Sénégal, à l’instar des autres pays du monde, a été gravement affecté sur tous les plans, non seulement par les précédentes épisodes, mais encore beaucoup plus par celle-là qui est en cours et continue d’occasionner des pertes cruelles et inestimables sur la population et dans tous les secteurs vitaux de notre économie privée ou publique. Et plus grave et inquiétant encore, la pandémie sévit dans un pays dont plus de 95% de sa population sont des musulmans.
Ministre du culte et homme de culture maitrisant profondément les sciences islamiques, El hadji Malick SY était un juriste doué d’une rare intelligence. Il était un modèle d’ouverture d’esprit, d’extrême sensibilité et de haute perception.
Ainsi, il avait un projet de société bien défini et avait compris qu’il ne pouvait pas le faire triompher que dans un environnement au climat sain et apaisé. Il avait compris que le succès de son combat est foncièrement lié à la survie des sénégalais. Donc, sa mission première était d’abord de préserver leurs vies, mais pas de les nuire voire les détruire. Pour lui, toutes les vies se valent mais celles des musulmans sont précieuses. Donc, il fallait les protéger.
Pour réussir ce pari protecteur, il avait compris que son succès dépend étroitement du respect des droits fondamentaux de l’homme et de la pacification de l’environnent social et géographique en menant une politique basée sur l’intelligence, le respect mutuel, le sens de la liberté et de la responsabilité. Il entama ce combat par l’éveil des consciences. Il fut admis tout de suite dans le cœur de ses concitoyens qui épousèrent dès lors son action, celle de la rénovation et de l’émancipation des consciences pour asseoir les bases d’une nouvelle identité culturelle.
« Convaincu que le plus fort ne serait jamais assez fort tant qu’il n’aurait pas régné sur les consciences, El Hadji Malick SY décida de devancer le système colonial dans cette voie. » renchérit Pr Iba Der Thiam.
C’est ainsi qu’en 1919, lorsque la peste est apparue au Sénégal, il mesura toutes les conséquences et écrivit une lettre à ses concitoyens pour les exhorter à respecter les mesures sanitaires et les avis des spécialistes. Il avertit et exhorte :
« Ne désobéissez pas aux recommandations des médecins qui vous demandent de ne pas cacher la maladie. Et ce comportement est souvent dû à la mauvaise foi à l’endroit des techniciens de la santé de ceux qui racontent des choses infondées. Nous leur devons respect et considération.
Rien que pour honorer le Hadith du Prophète PSL, vous devriez les suivre sur l’interdiction d’entrer dans les zones affectées par l’épidémie ou d’en sortir. Le Prophète PSL dit: « la peste est un pan du tourment […] si vous connaissez un pays dans lequel l’épidémie s’est répandue, n’y partez pas et si vous vous y trouvez, n’y sortez pas non plus pour la fuir. »[1]
Et ce comportement responsable doit être selon lui une observance qui ne devrait pas souffrir d’aucune défaillance pour vaincre définitivement l’épidémie, étant donné que nous sommes la forme de vie la plus parfaite par la beauté de la créature et l’exclusivité de la raison.
Conscient de ce stade de perfection, El Hadji Malick SY croyait fermement, même s’il n’ignorait pas la puissance de la peste, au génie inventif et créatif de l’industrie humaine et surtout l’arme de la prière, pour venir à bout de cette épidémie. Il avait toujours fait confiance à Allah, comptait personnellement sur lui-même et s’en remettait entièrement à son Seigneur. Il n’a jamais cessé de prier et de solliciter quotidiennement l’assistance et la protection divines. Il prie son Seigneur dans « Yâ Kâchifa Ad-dâ-î :
O Toi qui dissipes la maladie, les maux et les méfaits ! O Toi qui fais déborder les océans de lumières et de secrets
Sur les bien-aimés, les élites de la noblesse, par choix et comme il veut, Grand soit-il !
O Le Plus Généreux des généreux ! O Le Plus Clément des plus cléments ! O Le Plus Subtile des subtiles ! O Toi qui refroidies ma chaleur !
O Toi qui détestes la petitesse en sollicitation, Tu n’as jamais fait échouer un serviteur venu Te solliciter !
O Allah ! O Seigneur ! O Le Tout-Pardonnant de nos maladresses ! O Guide de l’égaré désemparé et perdu !
Je suis atteint par une maladie qui n’a pas de spécialiste autre que Celui Qui, chaque jour, son décret circule.
La maladie, o Seigneur, m’a affaibli et éreinté, précipite notre secours, o Créateur Producteur !
L’option faite par El Hadji Malick SY de confier totalement son sort à Allah, plutôt que de recourir à toutes formes de fétichismes ou attitudes anticonformistes, apparait, donc, somme toute, très juste et conforme aux recommandations du Seigneur qui dit dans le Noble Coran : « Et quiconque place sa confiance en Allah, Il lui suffit. » Et aux enseignements du prophète Mohamed PSL qui dit : « La prière est l’arme du musulman. »
D’ailleurs sa réaction humaine et intelligente contre la volonté du gouverneur de Saint-Louis qui voulait incendier les populations de Ghettu Ndar lorsque celles-ci refusaient de se faire vacciner contre la peste est toujours dans les mémoires. En effet, les colons voyaient en El hadji Malick SY un ennemi opportun qui les conduirait, par la raison, l’intelligence et le savoir-faire, vers la certitude, l’efficacité, la bonne compréhension et la juste perception des comportements et attitudes des populations.
Fort de toutes ces considérations et témoin de plusieurs étapes de l’évolution historique du pays, Serigne Babacar SY Mansour ne compte point déroger à l’usage établi par la Charia, la Sunna et le consensus.
Il est un guide et cela a un sens dans le principe. Il fait partie des protecteurs de la tradition religieuse. Un homme de Dieu multidimensionnel et de surcroit de consensus. Il prend toujours des décisions synoptiques et bien concertées et évite autant que possible d’agir sous une impulsivité punitive. Il aime fédérer la synergie des compétences et valoriser la combinaison des énergies pour pouvoir disposer d’un résultat discursif et aseptique. Et c’est le sens de la vie, c’est l’objet de sa quête de tous les jours.
Donc, cette décision de surseoir les cérémonies religieuses et de fermer les lieux de culte n’a qu’une seule motivation : la préservation des vies contre cette pandémie à corona virus qui a fini d’imposer sa puissance virale à toutes les grandes puissances économiques et sanitaires.
Il faut rappeler que pour jouir de ses droits et assumer ses obligations, l’homme doit tout faire pour préserver sa santé. Pour le Khalife Serigne Babacar SY Mansour, la santé est à la fois un droit et un devoir. Donc, il faut la protéger. Dieu nous dit dans Le Coran : « Ne vous jetez pas par vos propres mains dans la destruction. » Al Baghara, verset 195. Pour nous dire que la santé est primordiale, sans elle la première loi fondamentale islamique (Ighra) ne s’appliquera pas de sitôt.
Par respect à la communication de Mr Abdoul Hamid SY dont la lettre et l’esprit s’allient pour donner une conscience tranquille aux disciples et les appeler à revenir à la case de départ des cérémonies religieuses : « Devant l’impossibilité, nul n’est tenu. Il existe mille façons de rendre grâce à Dieu et de reproduire le modèle prophétique. Il y a mille leçons et mille chemins de célébrer le Mawlid. » Oui, il suffit de perfectionner la raison par le savoir pour se mettre à l’observance religieuse afin de conduire son existence dans les sentiers d’Allah.
Je m’en arrête là pour vous rappeler le respect des mesures barrières et prier Allah de préserver nous davantage contre cette foudroyante pandémie.
[1] Lire l’intégralité de la lettre dans l’autre article intitulé : EL Hadji Malick SY, un auteur qui allie l’engagement à l’esthétique.
Serigne Mbaye BA
Petit-fils d’EL Hadji Malick KEBE (Qu’Allah soit satisfait de lui)
Membre fondateur de Sirâjul Hadratil Malikiya Tivaouane