Boudy
1847-1934
On lui avait attribué le pseudonyme de Taawu Taalibé yi pour avoir été le premier à côtoyer et soutenir Cheikh Seydil Hadji Malick Sy dans son vaste champ d’action. Contemporain de Maodo Malick Sy et formé à la meilleure école, l’homme né aux alentours de 1847 a marqué les beaux jours de la localité de Boudy, village très reculé de Saint-Louis et de la capitale dakaroise.
Spirituellement formé par le Cheikh, Al Hadji Malick Sarr était un spécialiste des sciences théologiques. Il fit partie des tout premiers séminaristes de Ndjarndé, qui ont formé et instruit plusieurs éminentes générations d’érudits. Ses connaissances irréfutables, son rôle d’intermédiaire auprès du Cheikh et son expérience furent de précieux fleurons pour la jeunesse de son époque en quête d’instruction.
Soucieux de transmettre à son entourage la science et les bonnes vertus, jamais l’aîné des disciples ne s’est départi de son viatique pour éduquer, former et initier. Hormis les tâches qu’il s’imposait avec rigueur, le service du maître et la consubstantialité authentique avec la Tarikha Tidjane à laquelle il s’était affilié demeuraient ses plus grandes motivations. Son dévouement envers le Cheikh était ineffable.
Par ailleurs, Al Hadji Malick Sarr ne manquait pas d’autorité sur ses pairs. Son caractère d’homme honnête, du genre « Dëggu », avait une portée significative pour un adepte spirituel de Cheikh Ahmed Tidjane de sa trempe. Il ressentait profondément l’amour que lui procurait la religion de Dieu ainsi que sa Tarikha.
Pour revenir sur les liens qui l’unissaient à Maodo Malick Sy, il faut souligner que l’homme de Boudy était un compagnon distingué du Cheikh. Au-delà des rapports entre leurs deux familles, il partagea avec son ami les moments les plus rudes de la vie. Rappelons également que, outre leur compagnonnage, le distingué Tafsir Amadou Barro Ndièguène vivait en parfaite harmonie avec ces deux inséparables.
Très doué dans la science du Khalwatiyya, Al Hadji Malick Sarr s’associa plus d’une fois à son ami Tafsir Amadou Barro Ndièguène, autre spécialiste en la matière, pour éclairer certaines situations auprès du Cheikh. Cette vie austère, empreinte de spiritualité, qu’il partagea avec le maître de Tivaouane, prit une nouvelle tournure de familiarité lorsque Malick Sarr, devenu homme de confiance du Cheikh, épousa sa fille aînée, Mame Fatoumata Sy. Coup du sort : l’aîné des Talibés avait épousé l’aînée du marabout.
De cette union prodigieuse naquit le Talibé-aîné des petits-fils, en l’occurrence Mounir. Fondant un foyer digne d’un Daara, dans le plus grand mutualisme, Malick et Mame Fat Sy eurent une famille moyennement nombreuse de huit frères et sœurs et vécurent à la manière du Cheikh : dans le Sutura, l’endurance et la plus grande transparence.
Ce principe de mutualisme, cultivé dans la cour religieuse de Maodo Malick Sy et essentiellement fondé sur la règle du Sutura, constitue la devise principale des grands hommes de valeur, qui n’ont jamais favorisé les mariages de prestige dans les foyers traditionnels où ils demeuraient. Malick Sarr servit remarquablement son maître, qui ne le considéra jamais comme un simple disciple parmi tant d’autres, mais plutôt comme un partenaire de religion, un grand frère.
En retour, l’homme de Boudy marqua son dévouement par une culture profonde de la serviabilité, revendiquant sa position éternelle d’« aîné des Talibés » et montrant à la jeunesse de son époque la voie du « Tarbiyyisme ». Lorsque le Cheikh fit ses adieux, alors qu’Al Hadji Malick Sarr semblait pressenti pour la succession, il renonça au fauteuil du Khilafat au profit de son ancien Ndongo.
Choisi et conforté sur le trône califal par son maître de Daara, qui l’avait couvé et formé dès son plus jeune âge, Serigne Ababacar Sy manifesta à son tour une profonde affection envers l’homme de Boudy, qu’il considérait comme un véritable père. Mais fidèle à l’enseignement de son maître, Malick Sarr conserva à jamais sa position de Taalibé, non seulement dans la vaste cour de Maodo Malick Sy, mais aussi au sein de la Tarikha du Cheikh. Ce fut le signe d’une confirmation du disciple dans son éternel manteau de missionnaire.
Malick avait réellement voulu servir son maître. Et dans ce service, il ne chercha pas à se servir, mais à faire servir les autres. Telle était la philosophie du grand serviteur qui, par sa dimension ésotérique et sa modestie, réunissait les plus belles qualités des dignes continuateurs de l’œuvre des grands hommes.
À sa mort survenue en 1934, son fils Mounir, quatrième enfant de son père et frère cadet de Issa et Ibrahima (disparus très tôt), prit aussitôt en main ce merveilleux héritage. Homme instruit, il reçut de son père une formation rigoureuse avant de devenir un digne produit de Serigne Ababacar Sy.
Dans son fief de Boudy, où il bénéficiait d’une large audience malgré les nombreuses années passées à Tivaouane sous l’aile protectrice du Khalif et de sa tante Sokhna Astou Sy (sœur cadette de sa mère Sokhna Fat Sy), Mounir était considéré par ses proches comme un modèle de dignité, diffusant sa pensée en toute liberté. Sa robe de médiateur, bien connue, révélait la mission qu’il s’était assignée au sein de la famille de Maodo Malick Sy.
Très fécond dans la langue de Kocc, le fils de Boudy captivait l’attention de son entourage par un discours d’une grande portée morale. Son unique préoccupation était d’unir et de rassembler, en une belle famille, les membres de la cour du Cheikh. Dignement inscrit dans le sillage de ses illustres prédécesseurs, Mounir porta haut et fort le message de ces hommes de valeur et de vertu, pleins de respect et de dignité.
Pape Amadou Sall
Ëttu Maodo