Il n’est pas donné à tout le monde d’imposer le nom de son école coranique dans une cité religieuse comme Tivaouane, réputée pour sa haute spiritualité autant que pour la place qui lui est dévolue dans la transmission du savoir islamique au Sénégal. Le symbole devient plus fort dans le cas d’une femme qui ne compte que sur elle-même.
Adjaratou Fatou Kébé n’est visiblement pas pour rien présidente des « Ndéyou Daara » (marraines des écoles coraniques) de la région de Thiès. Son abnégation donne la mesure de ce qui est nécessaire pour promouvoir et valoriser toujours plus l’enseignement coranique.
Le Daara Sokhna Oumou Ibrahima Dème, l’établissement qu’elle a fondé à Tivaouane, n’a pourtant vu le jour qu’en 2020. Mais elle a déjà bien pris ses marques. En atteste, la sortie de sa deuxième promotion de « hafiz » (personnes ayant mémorisé le Saint-Coran), le 7 janvier dernier.
Beaucoup de crédit en si peu de temps donc pour un établissement parti d’un vœu, de presqu’un pacte que sa promotrice a passé avec elle-même devant Dieu. Un vœu exaucé. Un rêve devenu réalité.
Huit ans avant d’entamer son projet, Adjaratou Fatou Kébé s’était envolée pour le pèlerinage à La Mecque en 2002, avec le vœu secret de solliciter de Dieu qu’il lui facilite l’obtention d’une parcelle pour bâtir l’école de ses rêves.
« Devant la Kaaba, j’ai demandé à Allah de me faciliter l’obtention d’un terrain pour y ériger un daara », se rappelle-t-elle.
Ce vœu sera exaucé trois années plus tard. La mise en œuvre du projet n’a plus attendu longtemps avec le démarrage de la phase de construction de l’école. Même si Adjaratou Fatou Kébé y allait de son rythme, ne pouvant compter que sur elle-même.
« Chaque fois que j’avais de l’argent, j’achetais du ciment et du fer, car j’avais hâte de vivre ma passion. Le combat sera finalement plié en 2020 », raconte-t-elle.
La phase de construction avait certes mobilisé toute son énergie et celle de ses proches, mais elle était soulagée. Surtout, il lui restait suffisamment d’enthousiasme et de détermination pour avancer.
Un établissement qui ne compte que sur la « banque d’Allah »
Le bouche-à-oreille a aussi eu son effet pour faire connaître son « daara » dans lequel elle reçoit d’abord des parents d’horizons divers, qui viennent y inscrire leurs enfants, en mode internat ou externat.
L’établissement compte désormais quarante pensionnaires filles et garçons, admis sous régime internat, avec plusieurs appartements servant de dortoirs, en plus de deux grandes salles pour les cours.
Les provisions destinées aux repas sont stockées dans deux grands magasins, transitent ensuite dans une spacieuse cuisine, avant de finir dans les plats des pensionnaires de l’établissement.
Après avoir mémorisé le saint Coran, certains pensionnaires intègrent l’école française, où « ils ont tous sauté la cinquième », en se faisant inscrire directement au CE1 après le CI, raconte la promotrice de l’école.
Pour supporter les « nombreuses dépenses » liées au fonctionnement de son « daara », Adjiaratou Fatou Kébé dit ne compter que sur la seule « banque d’Allah ».
« Je n’ai jamais demandé à personne la moindre aide pour le fonctionnement du Daara, Alhamdoulilahi Rabbil Aalamine (gloire au Seigneur des mondes) ».
Jusque-là, elle parvient pourtant à prendre en charge les charges fixes liées à la rémunération de ses trois « oustaz » (maîtres coraniques), ses deux « seydas » (institutrices coraniques) et de l’enseignant de français, sans compter celle des cuisinières.
Elle dit sentir la main de Dieu, se dit guidée par sa grâce, à travers toutes ces bonnes volontés parcourant des centaines de kilomètres pour venir débarquer devant son « daara » des tonnes de riz ou des sacs de sucre et d’oignon, entre autres denrées.
Adjaratou Fatou Kébé n’oublie pas pour autant de remercier ses parents et proches qui ne cessent de l’épauler depuis le début.
Elle compte, parmi ses bienfaiteurs, l’opérateur économique Abdoulaye Ndiaye Ngalgou, pour ne citer que ce dernier.
Adjaratou Fatou Kébé doit aussi beaucoup à certaines de ses connaissances établies en France, dont une femme du nom de Gnilane Diop, basée à Paris et qui lui envoie régulièrement d’importantes quantités de médicaments et lui prodigue moult conseils, en plus de l’appui de son frère, l’universitaire Abdou Aziz Kébé, ancien délégué général au pèlerinage.
Le souvenir inspirant d’une mère
Il reste que l’amour de Adjaratou Fatou Kébé pour l’enseignement et la mémorisation du Coran remonte à son enfance.
Après avoir mémorisé le Coran, elle avait été inscrite à l’école primaire de la cité Lamy de Thiès. Mais cinq ans plus tard, la brillante élève demandait à être orientée dans une école franco-arabe.
Malgré la réticence de son instituteur, qui ne voulait pas se séparer d’une si bonne élève, la ténacité de la jeune Adjaratou finit par convaincre le père qui, lui-même, enseignait à l’époque l’arabe à l’école primaire de la cité Lamy. Il accéda au souhait de sa fille.
Une affaire de famille. C’était écrit. D’autant qu’elle semble tenir de sa mère qu’elle entendait souvent psalmodier le Coran pendant son temps libre.
Adjiaratou Fatou Kébé décrocha son Brevet de fin d’études moyennes (BFEM) en arabe en 1976. Comme le Baccalauréat arabe n’existait pas encore au Sénégal, elle n’eut d’autre choix que de suivre le parcours de son père.
Elle est recrutée dans la fonction publique en 1982, avant d’être affectée – ironie du sort -, dans ‘école primaire qu’elle avait quittée pour le cycle franco-arabe.
Un an plus tard, elle rejoint son mari à Tivaouane où elle officie d’abord à l’Ecole 4 jusqu’en 1992, année de sa mutation à l’Ecole 2, pour y poursuivre sa carrière jusqu’à sa retraite.
La journée du dimanche 7 janvier dernier restera mémorable pour le Daara Sokhna Oumou Ibrahima Dème, qui a fêté la sortie de sa deuxième promotion de « hafiz ». Devant les parents et l’encadrement de l’école, trois « bouts de bois de Dieu » ont pu réciter intégralement le Coran. Un grand moment de bonheur pour tout le monde.
L’émotion n’était donc pas en reste, certains parents n’ayant pu contenir des larmes de joie d’entendre ces jeunes voix psalmodiant parfaitement les versets coraniques. Il n’en fallait pas plus pour que des « Allahou Akbar ! » se fassent entendre. À la gloire du Seigneur.
Des louanges qui ont contribué à électriser un public acquis et reconnaissant à l’endroit de Adjiaratou Fatou Kébé.
Source: aps.sn