Serigne Mansour SY « Borom Daara Yi »
Peu avant sa disparition en septembre 1997 à l’âge de 93 ans, El-Hadji Abdoul Aziz Sy, en visite à Khombole (98 Km), faisait ce témoignage sur son neveu qui allait lui succéder au califat général : ’’Si le feu consumait tous nos écrits à Tivaouane, Serigne Mansour (Sy) pourrait les réécrire de mémoire’’.
Serigne Mansour Sy, âgé de 83 ans, continue de dégager une fière allure, même si l’âge et la petite santé commencent à lui jouer des tours. Sa singulière vigueur tiendrait certainement de son passage sous les drapeaux (français). Le défunt homme politique Amadou Ongué Ndiaye, pourtant disciple de son père Khalifa Ababacar Sy, se plaisait à ’’dénoncer’’, a posteriori, le régime de faveur dont il avait bénéficié durant leur incorporation à Kaolack.
Après avoir été interné dans un l’hôpital de la banlieue de Paris, Serigne Mansour Sy était en convalescence dans un hôtel parisien. Pour les besoins du Gamou, il est rentré, notamment pour démentir la rumeur qui a enflé en janvier, distillant des inquiétudes sur son état de santé. C’était dans un contexte d’après deuil national avec la disparition en fin d’année 2007, à 92 ans, de Serigne Saliou Mbacké, khalife général des mourides.
’’Le Sénégal restera un pays de paix, au regard de tous les saints qui y reposent’’, disait Serigne Mansour Sy, en avril 2007, année de tumulte électoral, à l’édition 2007 du Maouloud à Tivaouane.
En convalescence à l’époque, le marabout revenait du Maroc. Sa santé était tout aussi sujette à petite discussion. ’’Je suis venu pour rassurer les talibés que je me porte mieux’’, a-t-il dit à la cérémonie au cours de laquelle son porte-parole Serigne Abdoul Aziz Sy Junior, le ministre de l’Intérieur Ousmane Ngom, ainsi que l’envoyé du roi du Maroc Mohamed VI ont pris la parole.
Pour cette 106ème édition du Maouloud à Tivaouane, le marabout est revenu et a dispensé ses cours magistraux. Cette commémoration de la naissance du prophète Mohamed (PSL), est l’occasion de revisiter l’œuvre monumentale son grand-père paternel, El-Hadji Malick Sy. L’avènement de ce savant et mystique (1855-1922) a été annoncé par El-Hadji Oumar Foutiyou Tall comme son successeur à la tête de la Tijaniyya.
’’En 1998, le khalife général, Serigne Mansour Sy Borom Daaraji fut désigné, lors d’un rassemblement au Tchad, pour prononcer un discours historique en direction de la Ummah islamique (NDLR : sur le soufisme). Ce fait s’inscrit dans la particularité de Tivaouane d’avoir toujours été à l’avant-garde du processus de l’internationalisation de l’islam sénégalais’’, écrit, dans une tribune de presse, Bacary Sambe, docteur en sciences politiques, pour parler de la persistance du rayonnement de Tivaouane.
Chercheur à la Maison de l’Orient méditerranéen, Université Lumière Lyon2, il poursuit son témoignage sur Serigne Mansour : ’’La qasîda qu’il dédia au défunt roi Hassan II, lors des journées Cheikhna Ahmed Tijiâni, fut considéré par le ministre marocain des Affaires islamiques, Abdel Kabir Al-Alaoui Madghri, comme le plus bel hommage qu’il ait jamais entendu’’.
Avant de remplacer Serigne Abdoul Aziz, Mansour Sy était déjà couru. Il n’avait point de répit tant il était sollicité pour des prières salvatrices par des âmes en peine. ’’Les naufragés sociaux’’ faisaient la ronde de ses nombreuses résidences pour le rencontrer, quitte à passer des jours et des nuits d’attente. Parmi ces fidèles, les élèves et les étudiants, stylos en main réservés aux examens et concours, n’étaient pas les moindres. Les chômeurs et les candidats à l’émigration non plus. Aussi, tous ceux qui étaient menacés dans leur emploi, entreprise ou ménage croient en ses prières dites ’’khaas’’ (exclusives).
Savant en théologie, cependant Serigne Mansour est considéré par ses fidèles et ses non partisans comme médiocre en politique. En 2000, son soutien à Abdou Diouf, candidat malheureux de la présidentielle sénégalaise, lui a valu des critiques irrévérencieuses qu’il partageait d’ailleurs avec son demi-frère Serigne Cheikh Ahmad Tidjane Sy. A la victoire du président Abdoulaye Wade, l’opinion s’attendait à un retour de bâton. Il n’en fut rien, les intérêts mutuels entre un leader d’opinions et un collecteur de suffrages sont passés par là. L’un a besoin de l’autre.
La longue amitié et le voisinage entre deux fermiers du dimanche ont été invoqués pour passer l’éponge. Un membre très influent du régime actuel révélait, dernièrement à Tivaouane, que dans l’opposition au Parti socialiste, il recevait lui-même de l’argent de Serigne Mansour qui lui recommandait de le remettre à Me Wade, en guise de soutien financier. Le chef de l’Etat rappelait qu’il avait cédé, il y a plus de 30 ans alors qu’il était avocat, une parcelle mitoyenne au marabout qui le sollicitait pour étendre son verger à Mboro.
La terre est également une passion du chef religieux. Exploitant agricole, il est également propriétaire immobilier un peu partout, notamment à Dakar et à Tivaouane. Quelques fois, ses prétentions foncières suscitent la controverse, avant de se tasser. Aussi, la décoration de ses maisons est aussi bigarrée que celle de ses boubous, richement brodés dans un style unique en son genre.
Comme la plupart de ses pairs, Serigne Mansour gardait au secret sa situation matrimoniale. Mais, ses troisièmes noces avec une magistrate sénégalaise et les quatrièmes avec l’avant-dernière ambassadrice de Côte d’Ivoire au Sénégal, Fatimata Touré, ont attiré flashs et projecteurs sur la vie sentimentale du khalife général. Son beau-père, un chef religieux ivoirien avait des relations avec la famille Sy de Tivaouane depuis 1946, alors qu’il partait à La Mecque.
A la maison, révélait Fatimata Touré Sy, ’’je suis l’épouse. Ça n’a rien à faire avec le travail, je fais tout ce qu’une épouse doit faire pour son mari’’, répondait-elle, en mars 2007, au magazine sénégalais Week-end. ’’Quand les gens pensent qu’un ambassadeur peut donner des secrets, je pense que les chefs religieux ont plus de secrets à donner que nous-mêmes parce que c’est au chef religieux que les gens demandent des promotions’’.
’’Je ne suis pas la personne prête à donner quoi que ce soit à qui que ce soit pour essayer de vendre mon pays. Non ! Non !…’’, rassurait-elle sur la frontière entre vie publique et vie privée, ajoutant : ’’Je suis avec lui depuis un an, mais vous ne m’avez pas vu m’afficher dans la presse avec lui, ou l’accompagner en train de faire le tour de la ville’’.
’’Le chef religieux sait très bien ce que c’est qu’un ambassadeur. Il y a des choses qu’on ne peut pas faire avec un ambassadeur ou dans une ambassade. Ce qui explique que vous ne le verrez pas venir traîner dans une ambassade s’il n’a rien à faire là, franchement. Tout est question de hauteur de vue et le chef religieux a un grand niveau intellectuel quand même’’, soutenait-elle.
Sur le respect des convenances protocolaires, Mansour Sy Jamil, un neveu du khalife général dont il est assez proche, faisait également une fine fleur à son oncle paternel, dans un entretien paru en février 2001 dans le quotidien Le Soleil. Aussi, les deux hommes ont le même homonyme : El-Hadji Mançour Sy Malick (1900-1957).
L’ancien fonctionnaire de la Banque islamique de développement (BID) déclarait : ’’Permettez-moi avant toute chose d’apporter une précision sur la notion de Khalife. Je considère qu’aujourd’hui, dans la famille d’El Hadj Malick Sy (que Dieu soit satisfait de lui) il n’y a qu’un seul khalife qui est Serigne Mansour Sy « Boroom Daaradji ». Il l’est d’ailleurs pour l’ensemble des Tidjanes du Sénégal. Par conséquent utiliser le terme de Khalife pour un autre peut prêter à confusion’’.
Par Serigne Adama Boye (APS)